vendredi 15 mars 2024

C’est l’INCAA qu’on assassine [Actu]

Une du supplément culturel de Pagina/12 le 13 mars :
"Ecran dans le noir", dit le gros titre
sur cette photo du siège de l'INCAA
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A travers un décret publié il y a quelques jours au Bulletin Officiel et signé par le président que le gouvernement a nommé à la tête de l’Institut national du cinéma et des arts audiovisuels (INCAA), un financier sans aucune expérience ni intérêt pour le secteur, l’exécutif argentin passe des menaces aux actes et détruit l’outil de soutien à la création cinématographique qui avait pourtant amplement prouvé son efficacité et son utilité.

L’historique salle Gaumont, qui était le lieu de toutes les présentations des productions aidées par l’institut, va être vendue.

Il a aussi été annoncé que plus aucun festival ne recevrait d’aide économique ou de soutien institutionnel de la part de l’INCAA, ce qui va mettre en danger jusqu’au festival international de cinéma de Mar del Plata, le navire amiral de toutes les manifestations dans le domaine. Il n’y aura plus non plus de subvention versée aux provinces qui veulent soutenir un projet ou organiser un événement.

Les contrats de travail à durée déterminée qui arrivent à échéance le 31 mars ne seront pas renouvelés. Les heures supplémentaires ne seront plus payées. Les déplacements professionnels des salariés de l’institut ne seront plus pris en charge, ni leurs frais de nourriture, d’hébergement et de téléphonie : tout cela coûterait, paraît-il, trop cher. Sans doute s’agit-il en fait d’empêcher toute espèce d’intervention institutionnelle afin de transformer très vite l’INCAA en coquille vide en vue de le supprimer plus facilement d’ici quelque temps.

Le personnel entend bien résister mais très vite, la police a fait barrage pour empêcher les gens de s’approcher de la salle Gaumont, qui était l’aimant susceptible d’attirer les manifestants.

Et cette fois-ci, ces mesures iniques, qui vont détruire le très prometteur cinéma national argentin, porteur d’une vraie puissance de rayonnement culturel partout dans le monde, ont eu les honneurs de toutes les unes des quotidiens nationaux. Non pas dans le gros titre certes mais sur la une néanmoins.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Échec au président au Sénat [Actu]

Jeu de mot habituel dont la vice-présidente,
la très réactionnaire Victoria Villaruel, fait les frais :
Victoire et défaite
Elle semble avoir tout fait pour mettre le président
en difficulté. Ils semblent jouer l'un contre l'autre en permanence
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Hier, le Sénat, enfin réuni pour examiner le super-gros décret pris par Mileí dès le début de son mandat pour casser toute la politique sociale bâtie depuis plus de cent ans par l’Argentine, a voté largement contre la validation de ce texte fourre-tout.

"Le font populiste a infligé une nouvelle défaite
au Président au Congrès" dit le gros titre
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Les résultats sont intéressants : 42 votes contre pour 25 en faveur et 4 courageuses abstentions…

C’est maintenant aux députés de se prononcer. Jusque là, le décret reste d'application. Il est assez probable que le résultat sera négatif aussi dans la Chambre basse.

"Le Sénat a rejeté le décret-ordonnance de Milei
mais celui-ci reste valide", dit le gros titre
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Furieux, le président Mileí a aussitôt déversé sa haine et sa rancœur dans un torrent de messages insultants et violents sur les réseaux sociaux.

"Revers pour Milei : le Sénat rejette le décret-
ordonnance. Aux députés de se prononcer maintenant",
dit le gros titre
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La loi « Omnibus » a été rejetée par le Congrès il y a quelques semaines. Sa nouvelle version risque bien de prendre le même chemin. Bref, ce président est impuissant puisqu’il est incapable de construire une majorité de gouvernement. Tant mieux ! Il fera moins de mal comme ça.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

samedi 9 mars 2024

Karina Mileí choisit le 8 mars pour débaptiser le Salón de las Mujeres à la Casa Rosada [Actu]

Karina Milei découvre le portrait de Alberdi,
le chéri de son frangin
(Alberdi était pourtant un vrai démocrate,
qui a conçu la constitution dont le président
fait des confettis depuis le 10 décembre dernier)
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La sœur du président Javier Mileí a choisi la date du 8 mars pour informer le public sur les réseaux sociaux de la présidence du changement de nom d’une salle d’honneur consacrée dans le palais présidentiel au souvenir des femmes qui ont illustré l’histoire de l’Argentine tout au long des deux cents ans de son indépendance : militantes, combattantes révolutionnaires, scientifiques, artistes… le Salón de las Mujeres. C’est là que se tenaient les grandes réunions de négociation, des réceptions officielles pour remise de décoration, des annonces officielles, des conférences de presse sous Cristina Kirchner qui l’avait créé en 2009, à la veille du Bicentenaire.

Macri l’avait transformé en vulgaire open-space pour ses équipes sans toutefois oser toucher aux portraits et au nom du lieu. Cette fois-ci, il est redevenu un open-space pour les équipes de communication de Mileí et en prime, on vient de recouvrir les portraits des femmes par des portraits d’hommes. La pièce s’appelle désormais Salón de los Próceres (ou Salle des Grands Hommes).

Les motifs invoqués pour cette transformation sont une véritable provocation, volontaire, méprisante et tout simplement négationniste : le gouvernement prétend préférer « l’histoire durable » aux « petites modes passagères », d’autant que bien entendu, cette dénomination était à ses yeux « discriminatoire envers les hommes ».

La foule des manifestantes du 8 mars, hier,
plaza del Congreso
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Dans un ouvrage remarquable, The Road to Unfreedom (traduit en français par Le chemin de la servitude), le grand historien nord-américain Timothy Snyder (Yale University) analyse la manière dont des dirigeants néofascistes comme Poutine et Trump, comme les fous furieux du PIS en Pologne, un énergumène comme Boris Johnson dans un pays pourtant aussi enraciné dans la culture parlementaire que la Grande-Bretagne, un Berlusconi en Italie, un Fico en Slovaquie, peuvent avoir conquis le pouvoir et s’y maintenir : en offrant à leurs concitoyens ce que Snyder appelle la « politique d’éternité », un discours insensé qui présente le pays dans un état idéal, figé à jamais sous une forme qui n’a jamais existé dans la réalité, comme mis à l’abri pour toujours des évolutions de l’histoire. Or ce sont exactement ces mêmes raisonnements que Karina Mileí tient dans son communiqué et sa vidéo d’une minute où elle montre l’installation de la nouvelle décoration, son caprice de nouvelle et caricaturale Marie-Antoinette.

Oui, il est de plus en plus clair que l’Argentine s’achemine bel et bien, hélas, vers un naufrage néo-fasciste. A moins que le peuple puisse résister, comme il semble résolu à le faire. Cependant, ce sera difficile eu égard aux conditions de vie qui lui sont imposées : quand on cherche toute la journée comment remplir les assiettes de la famille, la révolte efficace est assez peu accessible. C’est sans doute ce sur quoi compte celui qui n’est encore qu’un apprenti dictateur et dont le comportement n’est peut-être incohérent qu’en apparence. Comme Trump, peut-être ne cherche-t-il qu’à embrouiller son opposition en la noyant dans un labyrinthe de réactions insensées afin de lui faire perdre toute lucidité, comme le font tous les gourous sectaires de la terre pour soumettre leurs victimes.

Cette annonce intempestive du 8 mars n’a laissé aucun titre de presse indifférent. Même la presse de droite, qui ne portait guère ce Salón de las Mujeres dans son cœur, entraperçoit, surtout au surlendemain d’une spectaculaire innovation constitutionnelle en France, tout ce que le symbole antiféministe de cette nouvelle dénomination entraîne de menaces pour le statut des femmes en Argentine, d’autant que Mileí n’a jamais caché qu’il voulait abroger les lois touchant les mœurs votées ces dix dernières années.

Dans la plupart des journaux, l’affaire occupe plusieurs articles.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 sur le changement de nom de la salle
lire l’article de Página/12 sur le président Carlos Menem, le seul homme politique du 20e siècle qui ait les honneurs de la nouvelle décoration (celui qui a précipité le pays dans la faillite de 2001 est aussi le modèle revendiqué par Mileí et le grand-père du président de la chambre des députés nationale)
lire l’article de Página/12 sur la communication de Karina Mileí
lire l’article de La Prensa sur le sujet
lire l’article de Clarín sur la vidéo de cette Première Dame qui est la sœur du président et non son épous
lire l’article de Clarín sur le changement de nom et les personnalités polémiques choisies pour recouvrir les portraits de femme
lire l’article de La Nación sur la vidéo officielle
lire l’article de La Nación sur la réaction scandalisée et douloureuse de l’ancien président, Alberto Fernández, qui avait réhabilité cette salle et en avait enrichi la décoration.

jeudi 7 mars 2024

La recherche et le cinéma argentins en danger, les malades aussi [Actu]

Página/12 fait son titre du jour avec une citation
d'une vulgarité finie du président, en l'illustrant
comme il se doit d'une porte de toilettes pour hommes
qui lui sont réservés (on reconnaît son allure distinguée)
En haut, à gauche : l'angoisse de l'industrie cinématographique
au centre : le scandale déclenché avant-hier par le président
qui est allé prononcer un discours anticommuniste primaire
dans l'école privée catholique où il avait fait ses études
et où il a laissé sans bouger deux adolescents s'évanouir
d'épuisement à ses côtés - pire, il en a plaisanté !
Les deux gamins présentaient les couleurs derrière lui
selon le protocole habituel argentin.
à droite : l'angoisse dans le monde scientifique
et la lettre ouverte des Prix Nobel
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L’inquiétude monte dans le monde scientifique, universitaire et artistique. Le président et ses sbires ne cachent pas leur intention d’en finir avec le financement public de ces secteurs qui ne peuvent pas exister sans cet appui et dont Javier Mileí ne cesse de dire qu’ils ne servent à rien.

C’est aussi parce que l’argent devrait être mieux employé que dès le début de son mandat, il a fait suspendre le système qui permettait à la sécurité sociale de prendre en charge le traitement des maladies graves qu’à moins de rouler sur l’or, un simple particulier ne peut pas s’acheter. C’est d’ailleurs pour cela que la sécurité sociale a été inventée. Jusqu’à présent, toute personne gravement malade et présente sur le sol argentin est prise en charge gratuitement par le système hospitalier qui délivre les médicaments ordonnés par un médecin. Depuis plusieurs semaines, les patients atteints de cancer ne reçoivent plus leur traitement. Les riches peuvent toujours partir aux Etats-Unis, au Canada ou en Europe pour ce faire soigner. La classe moyenne et les pauvres, non ! On attend, paraît-il, une réforme du système parce qu’il y aurait beaucoup de coulage dans l’organisation telle qu’elle fonctionnait. Comme le sait-il, au fait ? Il vient d’arriver aux manettes et il n’a pas même ordonné le moindre audit. En attendant le bon plaisir de Monsieur, les gens peuvent bien mourir ou risquer une perte de chance, le chef de l’État n’en a rien à cirer !

La une de l'édition de la province de Buenos Aires
Cet homme parle de son épouse, privée de son traitement
"Je ne demande qu'une chose : ne nous laissez pas mourir"
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En une, Página/12 annonce une lettre ouverte qui lui aurait été adressée par 68 scientifiques du monde entier, tous récipiendaires du Prix Nobel dans les disciplines les plus variées, pour plaider le maintien en l’état de la recherche publique qui a coûté beaucoup d’efforts pour être constituée et qui a apporté beaucoup au savoir de l’humanité. Bizarrement et contre ses habitudes, le quotidien n’accompagne pas son article du texte de cette lettre ni de la liste des signataires. Et bien entendu, il est le seul journal à en parler (mais ça, c’est fréquent).

Le même Página/12 est aussi le seul journal à se faire l’écho des inquiétudes du monde du cinéma devant les risques de voir disperser le patrimoine constitué : l’INCAA, l’institut national qui finance le cinéma et le soutient logistiquement, est menacé de fermeture. Sa salle historique, où il organise toutes ses manifestations à Buenos Aires, le Gaumont, serait bientôt vendue au plus offrant. Quant au Festival International du Film de Mar del Plata, il se verrait privé de tous ses financements publics nationaux. Or ce sont là le socle de ce Septième Art qui a gagné de nombreuses récompenses internationales ces dernières années, à Cannes, à Berlin, à Hollywood, à Venise, etc.

En photo centrale, l'un de deux adolescents
qui s'écroule derrière le président,
que ça laisse indifférent
En haut, à droite, sous le bandeau titre,
l'annonce de l'article sur le vote au Congrès
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Et pendant ce temps-là, les parlementaires, déjà grassement rémunérés selon une solide tradition argentine visiblement pas au bord d’être remise en cause, elle, viennent de s’accorder une augmentation de 30 % de leurs indemnités de mandat et de leurs budgets de fonctionnement. Or cela, tous les journaux le relèvent : c’est peu dire que dans une crise comme celle qui frappe l’Argentine et précipitent tant de membres de la classe moyenne dans une pauvreté noire, cette indécente décision attire l’attention de tous.

Au moins, on est sûr que ce genre de gros titre peut pousser les ventes.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12 sur la lettre des Prix Nobel au président
lire l’article de Página/12 sur la mobilisation collective des chercheurs contre la réduction des budgets et du personnel administratif du CONICET (le centre de recherche scientifique et technologique)
lire l’article de Página/12 sur les plans en préparation contre le soutien au cinéma
lire l’article de Página/12 sur l’histoire particulière d’une patiente atteinte d’un cancer et privée de ses médicaments
lire l’entrefilet de Página/12 reprenant le témoignage d’un médecin oncologue sur ce sujet
lire l’article de Página/12 sur le vote d’hier au Congrès
lire l’article de La Prensa sur le vote du Congrès
lire l’article de Clarín sur le vote du Congrès
lire l’article de La Nación sur le vote du Congrès
lire l’article de La Nación sur la perte de pouvoir d’achat des salariés, qui est revenu au niveau où il était en 2005, quatre ans après la faillite de toute l’économie nationale. Et c’est La Nación qui le dit, pas une vulgaire feuille de chou péroniste !!!!!

lundi 4 mars 2024

Aussitôt dit, aussitôt fait : le gouvernement a fermé Télam [Actu]

La police fédérale garde les bureaux de Télam ce matin, rue Bolívar
Photo Luciano Thierberger
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Vendredi soir, à 21h, alors qu’il faisait déjà la nuit close en cette toute fin d’été austral, le président Javier Mileí a ouvert sa première session parlementaire en bousculant les usages et en violant ouvertement le chabbat, jour par excellence interdit de travail dans la religion à laquelle il prétend désirer se convertir (mais quel aveu de mensonge, n’est-ce pas ? Puisque l’usage voulait jusqu’à présent que le président s’adresse au Congrès à midi, rien ne l'empêchait de respecter le chabbat s'il avait voulu).

Le cortège solennel du président s’est avancé sur la place du Congrès sous les huées et les insultes de la population massée sur les trottoirs. C’est dire s’il est contesté puisqu’on n’est encore à moins de trois mois de son investiture le 10 décembre dernier.

Lors de son discours empli une nouvelle fois d’accusations sectaires contre tous ceux qui ne pensent pas comme lui et d’annonces intempestives et souvent fort peu démocratiques, Javier Mileí a proclamé qu’il allait fermer l’agence de presse nationale, Télam, fondée il y a 78 ans.

Et cette nuit, il a effectivement fait fermer matériellement les bureaux de l’agence devant lesquels ce matin les passants ont trouvé de grandes barrières de sécurité empêchant tout passage. Les journalistes et les autres agents ont reçu un mail les priant de rester chez eux et les exemptant de tout travail pendant sept jours avec maintien de leur salaire, sans rien dire de ce qui adviendra au-delà de cette semaine. Vous imaginez cela ? Les salariés ne peuvent même pas aller récupérer leurs effets personnels : un gilet, des photos personnelles et autres petits bibelots ou breloques que tout le monde apporte au bureau, pas plus que le maté, la bombilla et la bouilloire ou le thermos qui permettent de siroter l’infusion nationale tout en bossant...

Les salariés se sont liés pour appeler à une manifestation
aujourd'hui à midi et demi devant le siège de la rue Bolívar
"Rassemblons-nous et défendons Télam"

Le site Internet de l’agence n’est plus accessible. Les services d’agence auxquels tous les périodiques argentins faisaient appel n’existent plus. C’est un outil de soft-power et d’indépendance culturelle de l’Argentine qui disparaît sans crier gare.

Tout cela est illégal, les procédures du droit du travail ne sont pas respectées et celles concernant la suppression d’une institution publique de presse non plus. Mileí s’en fiche. Il continue sur sa ligne : violence verbale, violence sociale, violence symbolique, violence institutionnelle…

Et le peuple de s’époumoner toujours davantage pour l’interpeler avec l’insulte habituelle : h… de p… (f. de p.).

La découverte des bureaux barricadés s’est produite ce matin. Les journaux avaient déjà bouclé leurs éditions papier. L’info ne fait donc pas les unes mais elle est bel et bien traitée en long et en large sur les sites Internet.

L’un des sites de l’agence se situe rue Bolívar, à quelques centaines de mètres de Plaza de Mayo. Une rue que je connais par cœur. Lorsque je suis à Buenos Aires, je la parcours du sud au nord et du nord au sud plusieurs fois par semaine en empruntant la plupart du temps le trottoir jamais en très bon état où se trouve l’entrée de Télam (il se trouve que c’est de ce côté-là que se trouvent les commerces que je fréquente : une supérette de quartier dit supermercado chino parce que ce genre de commerce est tenu par des Asiatiques, une boulangerie, une librairie de livres anciens où j’ai parfois découvert des petits trésors). Je ne connais personne qui travaille à Télam mais je me souviens des va-et-vient ordinaires dans ce hall, de la plaque en souvenir des victimes des crimes de la Dictature militaire de 1976-1983 sur la partie extérieure aujourd’hui inaccessible, des collègues qui se saluent, des gens qui bavardent en fumant une clope au pied de l’immeuble. Cette photo est un vrai choc !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

vendredi 1 mars 2024

L’arbitraire gouvernemental gagne les musées nationaux [Actu]

Le patio du Museo Mitre avec sa statue centrale
Il a fait une grande toilette en 2022
et cela se voit !
Photo Museo Mitre


Le gouvernement de Mileí continue ses manières anti-démocratiques et même anticonstitutionnelles.

Ce soir, à 21h, le président ouvrira la session ordinaire du Congrès, ce qui constitue la énième rupture des usages institutionnels : traditionnellement, le chef de l’État ouvre la session le 1er mars à midi, avec retransmission en direct à la télévision publique et mise à disposition sur une multitude de sites Internet sans parler de la presse du lendemain qui commente le discours, souvent reproduit in extenso. Qui plus est, pour faire « états-unien » comme lors de son investiture, Mileí va aussi utiliser un pupitre, ce qui est une autre rupture symbolique avec les usages. Bien entendu, ce n’est pas là le plus grave.

Le fait de vider de ses agents l’agence pour les handicapés l’est bien davantage. Ces licenciements massifs mettent en danger le soutien matériel aux personnes en situation de handicap. De la même manière, la reconduction sans modification des budgets des universités nationales les mettent elles aussi en danger : avec l’inflation galopante, la somme attribuée l’année dernière permettra juste aux universités de fonctionner jusqu’en mai alors que l’année de fonctionnement s’achève en décembre, hémisphère sud oblige !

Avant-hier, il s’est encore passé autre chose : au cours d’une réunion Zoom, le ministère du Capital Humain, ce bric et broc gouvernemental, a fort cavalièrement annoncé à huit directeurs de musée, et parmi les plus prestigieux, qu’ils étaient révoqués et remplacés immédiatement. Les remplaçants devaient prendre leurs fonction aujourd’hui. Le tout formalisé avec une simple lettre d’une sous-directrice du patrimoine. Or plusieurs de ces musées sont dirigés par des conservateurs, ou plutôt des conservatrices (le détail a son importance), qui avaient été nommées par l’équivalent du conseil des ministres à la suite d’appels à candidature ouverts, dont l’instruction a pour but de garantir leurs compétences professionnelles. Ces révocations sont donc illégales, elles doivent en effet passer par une procédure juridique similaire à celle de la nomination, sous la signature d’un responsable de même niveau.


Les musées concernés sont la maison natale de Sarmiento à San Juan, le palais du général Urquiza dans la province de Entre-Ríos et dans la capitale fédérale, le musée Mitre (où vécut l’homme de lettres devenu à la fois le fondateur de l’histoire en Argentine et un président de la République) et le Museo Nacional de Arte Decorativo. Or il se trouve que, comme par hasard, les remplaçants de ces conservatrices sont des hommes (tiens donc !). Il se trouve aussi, ô surprise, qu’ils n’ont pas de formation muséologique (pour des musées, c’est ballot !). Et pour cause, ce sont des historiens, de plus ou moins bon niveau par ailleurs. C’est que la direction du patrimoine estime désormais que les musées historiques (ce que n’est pas le musée d’art décoratif) ne doivent plus être dirigés par des conservateurs mais par des historiens. C’est encore une de leurs idées faussement disruptives : un musée n’est pas un livre. Conserver une collection ce n’est pas consulter des archives, il faut des compétences particulières (et encore faudrait-il que tous les historiens argentins travaillent sur les archives : il s’en faut, et de loin).

Ce scandale touche l’une des mes amies personnelles, Gabriela Mirande, conservatrice du Museo Mitre, que j’ai connue grâce à mes travaux sur San Martín et Belgrano (le musée conserve en effet l’immense collection de documents historiques rassemblés tout au long de sa vie par Bartolome Mitre qui vécut dans cette belle maison coloniale au cœur de la City portègne, l’une des très rares à exister encore à Buenos Aires). Je ne suis donc pas trop mal placée pour savoir à quel point ces révocations priveraient ces musées de conservatrices de talent !

L’homme nommé pour remplacer Gabriela n’est autre qu’un représentant syndical du musée lui-même contre lequel une de ses collègues avait porté plainte pour mauvais traitement, une plainte que Gabriela avait remontée comme il se devait à son autorité de tutelle, le défunt ministère de la Culture, dont les fonctionnaires ont été écartés dès l’arrivée au pouvoir de Mileí. Or ce syndicaliste est aussi un bon copain d’une des personnes en poste aujourd’hui. Comme par hasard !

Cinq colonnes et une grande photo
à la page 48 de Clarín ce matin
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Toujours est-il que la procédure a déclenché l’intérêt de Clarín et de La Nación hier et je sais de bonne source que les journalistes ont consulté les conservatrices concernées pour faire leurs articles. Certes ces articles n’ont pas les honneurs de la une mais ils figurent bel et bien sur les sites et dans les éditions papier. En revanche, ni hier ni aujourd’hui, on ne trouve rien dans les pages de Página/12 (sans doute parce que ces musées concernent des personnalités que Página/12 vomit de toutes ses forces parce que le journal les classe à droite, dans le libéralisme anglophile honni. Un réflexe aussi stupide qu’anachronique).

Le remue-ménage provoqué hier par ces révocations et soutenue par la presse a obtenu des résultats : il semble que les conservatrices aient pu retrouver leurs fonctions ce matin. Dans ce cas, elles vont rester en place plusieurs mois encore, le temps que le gouvernement procède dans les formes, ce qui prendra nécessairement du temps !

Que Gabriela et ses consœurs trouvent ici l’expression de ma solidarité.

Si le nouveau directeur est la personne que je connais, ce qui s’annonce par ailleurs du côté d’un autre musée, la Manzana de las Luces, ne me dit rien qui vaille non plus.

Heureusement que Mileí a fait livrer deux hélicoptères à l’Ukraine et propose d’organiser cette année un sommet latino-américain autour du plan de paix en dix points de Zelensky (mais il faudra le faire sans Lula et sans AMLO, tous deux profondément poutiniens). C’est peut-être la seule chose à sauver chez ce type qui se rêve en Trump austral... pro-ukrainien. Une incohérence de plus !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

vendredi 23 février 2024

Mileí voudrait fermer l’Institut de lutte contre les discriminations [Actu]

"Liberté pour discriminer," s'exclame le gros titre
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Le président Javier Mileí vient de signer un décret qui met fin à l’existence de l’Institut national de lutte contre les discriminations et le racisme (INADI). Il estime en effet que cet institut ne sert à rien et coûte très cher. D’après le communiqué officiel de la présidence, il compterait 400 agents incapables d’instruire les 7 000 dossiers en attente tandis qu’au cours des deux derniers mois, 2 000 d’entre eux auraient été traités de bout en bout. Ces chiffres sont sujets à caution : Mileí nous a déjà amplement démontré qu’il savait manipuler les données en fonction de ce qu’il veut leur faire dire et selon le proverbe : « Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ».

De plus, si l’institut fait mal son travail, ce qui n’est pas impossible, l’administration argentine n’étant pas toujours très efficace, il faut le réformer, l’obliger à mieux travailler puisque c’est ainsi que l’État progresse et la démocratie aussi.

Le gros titre est consacré au préavis de grève
lancé par les enseignants pour la rentrée du 1er mars
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Par ailleurs, quand on observe l’évolution de la société argentine sur la durée, depuis une vingtaine d’années, on est frappé par l’importance qu’ont prise ces questions de diversité et d’égalité de tous les habitants en dignité et en droits. Bien entendu, les débats qui agitent la société ne l’empêche pas de rester, dans les faits, rongée par les maux contraires : il y a du racisme, de la xénophobie et du chauvinisme, de l’homophobie et de la violence de genre mais la prise de conscience est très ample et les protestations s’amplifient d’année en année dès qu’un mot, un geste déplacé, une chanson insultante ou une mauvaise blague sont rendus publics. De nombreux personnages publics ont dû effacer tel ou tel tweet ou tel post sur leur mur Facebook ces dernières années ou ont dû s’excuser publiquement. Et que dire de l’émotion qui s’empare des médias lorsqu’on rapporte qu’un homme vient d’assassiner une femme de son entourage familial ou amoureux !

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Ce qui invite à penser que cet institut n’est pas si inutile que Mileí veut le croire, ce sont ces changements visibles qui se sont d’ailleurs traduits par des mesures législatives comme le mariage pour tous (dit matrimonio egalitario), la légalisation de l’IVG (IVE selon le sigle argentin) ou la lutte contre les féminicides dont le slogan Ni una menos (pas une seule qui manquerait à l’appel !) résonne dans les rues après chaque féminicide. Tout ce que Mileí vomit.

D’où ce nouveau DNU sorti de sa plume hier.

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Pour le moment, l’INADI continue toutefois d’exister et de fonctionner car un décret ne peut mettre fin à une institution mise en place par la loi. Il faudra que le Congrès en débatte et vote et quand on voit comment se comportent les deux Chambres depuis le début de la législature, on peut imaginer que cela n’ira pas de soi.

Bien entendu, la décision choque plus à gauche qu’à droite et les différents espaces qui lui sont consacrés sur les unes des journaux sont là pour en attester.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación
La Prensa a consacré un discret titre secondaire à cette affaire en pied de une mais l’article n’est pas disponible sur son site Internet, comme c’est très souvent le cas.

mercredi 21 février 2024

Une longue et chouette interview de Carla Pugliese ce matin dans La Nación [Disques & Livres]

Carla Pugliese


A l’occasion de la sortie en ligne, sur les plateformes, de son nouvel album, Volvió una noche (une nuit, elle est revenue), vendredi prochain, le 23 février 2024, la compositrice et multi-instrumentiste Carla Pugliese, digne petite-fille de don Osvaldo Pugliese, a rencontré au Teatro Tadron, dans le quartier de Palermo, Pablo Mascareño pour une interview parue ce matin dans La Nación.

Volvió una noche est un disque de cinq morceaux du répertoire, dont ce classique des classiques de Carlos Gardel qu’elle joue sur le bandonéon de Aníbal Troilo, que lui a confié la Academia Nacional del Tango, qui le conserve précieusement comme l’une des plus belles pièces de son musée. Sur (de Troilo), Nostalgía, Uno et La cara de la luna complètent le programme.

Carla Pugliese qui pratique tout dans le tango, danse comprise, s’est d’abord fait connaître comme pianiste et compositrice, comme son grand-père et sa mère, Beba Pugliese. A partir de sa formation en musique classique, elle a peu à peu élargi son éventail professionnel qu’elle a enrichi avec le bandonéon… Plus forte que Piazzolla, qui avait dû abandonner le piano après sa formation à la Cité Internationale des Arts à Paris en 1955 !


Au théâtre Tadron (photo Noelia Marcia Guevara)
Cliquez sur les images pour de hautes définitions

Au cours de l’interview, Carla Pugliese parle de son nouveau disque mais aussi de sa vie professionnelle, et un peu beaucoup de son grand-père, disparu en 1995, dont elle garde de tendres souvenirs.

A lire en espagnol pour découvrir une artiste attachante et accomplie puisqu’elle a su se gagner un prénom. Avec un tel patronyme, ce n’était pas donné au départ même si elle-même ne l’a jamais ressenti comme un handicap. Bien au contraire.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de La Nación (qui propose quelques morceaux de musique en vidéo intégrée)

mardi 20 février 2024

La pauvreté grandissante, Mileí s’en fiche royalement [Actu]

"Mileí : c'est un dessin, les chiffres
de la UCA sur la pauvreté", dit le gros titre
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Visiblement, malgré l’insistance du pape François sur le problème de la pauvreté en Argentine dans l’audience accordée au lendemain de la canonisation de Mama Antula, le président Mileí ne change rien. Personne ne s’en étonne, même si l’intéressé a voulu nous faire croire, l’espace de quelques heures, que la rencontre avec le Saint-Père avait été quelque chose comme son chemin de Damas.

Mais non ! Hier, il a réalisé son premier voyage officiel dans le pays. Il s’est rendu dans la province de Corrientes à l’invitation d’un cercle libertaire passablement obscur et d’autant plus désireux de faire du bruit autour de son dixième anniversaire.

"Très dure critique de Mileí au Congrès :
il le qualifie de "nid de rats", dit le gros titre
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Mileí est monté sur scène pour donner une conférence, comme lorsqu’il était paneliste de talk-show à la télévision. Comme il le fait matin, midi et soir sur les réseaux sociaux, il en a profité pour insulter sans retenue tous ceux qui ne pensent pas comme lui et qui lui opposent un tant soit peu de résistance : le Congrès a été traité de « nid de rats », rien que cela !, une chanteuse populaire qu’il a prise en grippe sans qu’on sache pourquoi a eu droit à quelques nouveaux remugles d’égout bien sentis et il a rejeté comme information non pertinente les chiffres de la pauvreté donnés avant-hier par le directeur de l’Observatoire de la Dette sociale de la UCA, qui appartient à l’Université catholique d’Argentine placée sous l’autorité de l’archevêque de Buenos Aires.

Le gros titre est consacré à l'invasion de moustiques
qui empoissonne la vie à Buenos Aires en ce moment
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Le sociologue a indiqué des pourcentages effrayants : en janvier dernier, la pauvreté concernerait 57,4 % de la population, soit 27 millions de personnes.

Selon Javier Mileí, par ces déclarations, la UCA ne cherche qu’à faire des graphiques pour faire joli. Il faut noter que l’université est actuellement fermée pour les vacances et que le rapport qui officialisera ces chiffres n’est pas encore disponible sur son site Internet.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :
sur les données de la UCA (articles publiés hier)
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
sur les déclarations du président (articles publiés aujourd’hui)
lire l’article de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article de Clarín
lire l’article de La Nación


Ajout du 21 février 2021 :