vendredi 26 avril 2024

La manif s’empare de la Feria del Libro [Actu]

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Comme on s’y attendait, l’inauguration de la Feria del Libro hier, à Palermo, a dû faire siffler les oreilles de Mileí.

Quoi que, puisque le président semble paradoxalement se réjouir des critiques qui lui sont adressées. Plus elles sont acerbes, plus il se rengorge sur les réseaux sociaux ! Peut-être par fanatisme libertaire ou peut-être, et c’est plus vraisemblable, parce qu’elles font parler de lui partout dans le monde, une publicité que ses maigres talents ne lui ont jamais permis d’obtenir. Au moins, depuis qu’il est président de l’Argentine, le grand public le connaît partout dans le monde et ses pitreries hantent les media en Argentine comme à l’étranger. Or ce n’est pas le cas de ses prédécesseurs : ni Néstor Kirchner, ni Cristina Kirchner, ni Mauricio Macri, ni Alberto Fernández n’ont jamais joui de la moindre notoriété hors du sous-continent (sauf, et encore à peine, en Espagne) alors que juste de l’autre côté de la frontière, Lula, Dilma Roussef et Bolsonaro, sur ce plan, n’ont vraiment pas à se plaindre !

Avec sa vulgarité, son look moche, son inculture abyssale et son déchaînement idéologique, il a réussi là où, avec des politiques qui restaient dans les clous de la décence démocratique, les autres ont échoué.

Une du supplément culturel quotidien de Página/12
présentant un moment du discours inaugural de Liliana Heker
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Toujours est-il qu’hier le président de la Fundación El Libro, organisatrice du salon du livre, et l’écrivaine Liliana Heker, invitée à délivrer l’allocution inaugurale, n’ont pas ménagé leurs critiques contre la politique anti-culturelle et anti-sociale de l’actuel gouvernement qui menace de faire disparaître entre autres et à court terme tout le secteur du livre, faute de ressources chez les lecteurs désireux d’enrichir leurs bibliothèques. Or ce secteur est une des grandes réussites de l’Argentine en Amérique du Sud, une sorte d’exception culturelle sur le continent. Quant à la Fondation du Livre, ce n’est pas à proprement parler un bastion de la gauche péroniste ! C’est donc l’écrasante majorité du monde de la culture qui se défend contre cette politique imbécile qui mise pour longtemps sur l’ignorance et la perte de tout repère historique et éthique.

Clarín a préféré mettre une photo tirée de la caméra
de sécurité d'une pizzeria qui a subi une attaque armée
hier soir dans Boedo, un quartier tranquille du centre-ville
de Buenos Aires.
La Feria del Libro est traitée en bas à droite
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Dans un discours de bienvenue mémorable, reproduit en intégralité ce matin par La Nación dans son édition du jour (un journal qu’on aurait du mal à définir comme de gauche !), le président de la Fondation a prononcé quatre non retentissants et un oui non moins sonore :

  • Non à la suppression du Fonds National des Arts
  • Non à la suppression de l’Institut National de Théâtre
  • Non aux coupes claires dans le budget de l’Institut National du Cinéma [qui est en train de mourir, NdE]
  • Non à la non-application de la loi de Défense de l’activité de libraire [qui permet entre autres aux librairies de ne pas verser au fisc le montant de la TVA des livres, loi votée il y a plusieurs années mais jamais mise en application, NdE]
  • Oui à l’Université publique, gratuite et pour tous.


L’organisateur a également dénoncé le cynisme et l’absence de toute vergogne du président qui a interdit au ministère de la Culture (redevenu simple secrétariat d’État au sein du ministère du Capital Humain) d’avoir un stand sur le salon sous prétexte que c’était là une dépense inutile pour l’État qui doit faire des économies, alors que le ministère a toujours été présent sur le salon depuis sa première édition, il y a cinquante ans. Et malgré cela, le président a le culot de s’inviter le 12 mai sur la scène centrale du hall d’exposition à l’occasion de la sortie d’un bouquin qu’il a signé. La Fondation lui a répondu qu’elle ne prendrait en charge ni l’organisation de cette sinistre pitrerie ni les frais liés à sa venue, en particulier le coût de la sécurité. Or vous imaginez sans peine ce qu’il va falloir déployer pour permettre au président d’arriver jusqu’au centre de la manifestation et d’y pérorer pendant une heure alors que tous les exposants lui sont profondément hostiles et que le public ne le porte pas vraiment dans son cœur. No hay plata, a répondu le président de El Libro aux cadors de la présidence venus lui présenter les desiderata de cet auteur si particulier. Non sans ironie, il n’a fait que leur retourner la phrase que le gouvernement répète à tout bout de champ et à tout le monde pour refuser de maintenir les budgets du secteur non marchand : « Il n’y a pas d’argent ».

Titre neutre mais belle photo à la une de La Prensa
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Le président devra donc prendre tous les frais sur son budget ou s’abstenir de venir faire sa promo. Ce qui va encore coûter bonbon aux contribuables argentins comme tout le reste dans ce mandat où les élus se votent des augmentations gratinées pour leurs indemnités de mandat, poussant le primat d’Argentine à leur intimer, en chaire et en vain, l’ordre de ne pas le faire, et où les ministères embauchent à tire-larigot copains et parents avec des salaires mirobolants tout en accusant leurs prédécesseurs de gabegie et de concussion en tout genre.

Ce qui n’a pas empêché hier, sur LCI, ici, en France, le journaliste François Lenglet de prendre pour argent content un discours récent et hautement fantaisiste de Mileí, où il s’est vanté à la télévision d’avoir déjà passé le budget de l’État en excédent après des décennies d’un déficit insurmontable. Pur mensonge, comme d’habitude avec lui. Vaguement formé à l’économie dans sa jeunesse dans une université privée d’assez piètre réputation, le président se laisse volontiers donner du Docteur alors qu’il n’a été étudiant que trop peu d’années pour prétendre à pareille qualification(1). Vendredi dernier, comme d’habitude, il a arrangé les faits et les chiffres à sa sauce pour leur faire dire ce qui l’arrangeait, quatre jours avant une manifestation qui s’annonçait gigantesque et qui l’a été, celle de mardi dernier en faveur de l’enseignement supérieur public.

Un montage photo pour se payer la tête
du gouvernement qui ne parvient pas à faire passer
ses lois au Congrès
La Feria del Libro est en bonne place : en haut à gauche
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Quant au chef du Gouvernement de la Ville Autonome de Buenos Aires, un cousin germain de Mauricio Macri, tout aussi de droite que lui, il a annoncé un programme d’aide et de soutien aux bibliothèques populaires dans sa ville ! Cela s’arrose...

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article principal de Página/12
lire l’article de La Prensa
lire l’article principal de Clarín
lire l’article de La Nación reprenant le discours de bienvenue du président de El Libro
lire l’article de La Nación reprenant le discours inaugural de Liliana Heker




(1) Notons que ses prédécesseurs ont de vrais diplômes universitaires à faire valoir : Néstor et Cristina Kirchner comme Alberto Fernández sont tous les trois docteurs en droit et Alberto Fernández était de surcroît, au moment où il a été élu, professeur de droit à la UBA, la plus prestigieuse université du pays. Quant à Mauricio Macri, c’est un authentique ingénieur formé en Argentine puis aux États-Unis. Certes, le diplôme ne fait pas le bon politique mais cela dit au moins quelque chose de l’effort que l’homme ou la femme en question a consenti pour se former.

jeudi 25 avril 2024

Buenos Aires inaugure aujourd’hui sa Feria del Libro [à l’affiche]

Affiche publiée dans la presse cette semaine
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Dans le quartier de Palermo, au domaine de La Rural (la société agricole des grands propriétaires terriens), près de Plaza Italia, s’ouvre aujourd’hui le Salon international du livre de Buenos Aires, pour sa 48e édition. Une édition marquée par la politique anti-sociale, anti-culturelle et anti-étatique du président Mileí, qui s’invite à la manifestation comme auteur, dans les derniers jours, pour présenter un ouvrage où il expose ses thèses libertaires aussi décousues et délirantes que celles qu’il expose dans ses discours bruyants et brutaux. C’est peu de dire qu’il n’y est pas le bienvenu et qu’il risque de rencontrer une hostilité manifeste des exposants et des auteurs présents sur place.

Une de Clarín ce matin avec cette belle photo centrale !
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Le salon dure dix-neuf jours comme tous les ans. Il propose un vaste programme de rencontres avec les auteurs et illustrateurs, les éditeurs et de nombreux autres artistes : conférences, tables-rondes, dédicaces, concerts, projections, ateliers, animations pour le jeune public.

En haut, à droite : titre secondaire consacré à la Feria
Sujet principal : refus du gouvernement de reconnaître
l'ampleur des manifestations de mardi pour l'université
"Ils ne la voient pas"
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Le salon est ouvert officiellement cette année par une autrice octogénaire qui propose un discours très critique sur la situation de la culture et de la recherche actuellement en Argentine, quelques jours après la manifestation spectaculaire pour le soutien au système des universités publiques (et même privées) qui a eu lieu dans tout le pays mardi dernier.

L’entrée au salon est payante.

Une du supplément culturel de Página/12
sur Liliana Heker : "La vie et la parole"
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La manifestation s’ouvre au moment où une chapelle latérale de l’une des plus vieilles églises de Buenos Aires, l’église Santa Catalina, qui date de 1745 et qui était la chapelle du premier monastère féminin de la capitale argentine, aujourd’hui un centre pastoral et un lieu patrimonial. Un bête court-circuit ! Ce feu, qui a détruit la chapelle et endommagé son mobilier et ses statues, symbolise assez bien l’état d’abandon de la culture dans le pays.

A l’avenir, la manifestation est menacée comme l’est aujourd’hui le Festival international du Cinéma de Mar del Plata (novembre).

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’interview de Liliana Heker, en charge du traditionnel discours inaugural, dans Página/12
lire l’article principal de Clarín
lire l’article principal de La Nación
lire le reportage de La Nación sur Liliana Heker et la position qu’elle défend en qualité d’oratrice à la Feria Internacional del Libro

mercredi 24 avril 2024

Manifestations massives en faveur de l’université publique partout en Argentine [Actu]

"Quand je dis Futur", clame le gros titre
sur cette plongée sur Plaza de Mayo
On distingue parfaitement au fond, avec le toit
en tuiles romaines, le Cabildo.
A droite, avenida de Mayo
à gauche, le long de la Diagonal Sur :
la Legislatura de la Ville autonome de Buenos Aires
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Hier, partout en Argentine, à l’appel d’un grand nombre d’universités publiques et même privées, auxquels se sont joints des syndicats, les Argentins sont sortis dans les rues pour soutenir le modèle public et gratuit de l’enseignement supérieur, désormais plus que centenaire et dont la survie est menacée par le gouvernement de Mileí qui est en train de faire disparaître les budgets des établissements qui ont le plus grand mal à organiser leurs activités jusqu’au mois de juin prochain (c’est-à-dire jusqu’au milieu de l’année universitaire).

C’est l’avenir du pays et de sa jeunesse qui est en jeu.


La Prensa (journal ultra-réactionnaire catholique)
a choisi la même vue mais avec un effet d'éblouissement
qui atténue l'effet de foule malgré le gros titre
qui dit : "Beaucoup de monde à la manif"
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La ministre de la Sécurité, Patricia Bullrich, a dû se résoudre à lever ses mesures anti-barrages, qui sont en fait des dispositions anti-manifestations. Les manifestants n’ont en effet pas le droit d’occuper la chaussée. Ils doivent marcher uniquement sur les trottoirs. Inutile de dire qu’en l’occurrence, les participants n’ont fait aucun cas de ces décisions qui luttent contre la liberté d’expression et de manifestation.

Une autre vue mais tout aussi impressionnante !
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Presse de gauche comme de droite sont pour une fois d’accord : tout le monde titre sur le caractère massif des manifestations et sur le chiffre d’environ un million de participants sur l’ensemble du pays. La Casa Rosada évalue le chiffre à dix fois moins ! Et contrairement à l’habitude, le ton de la presse de droite est très critique et presque agressif vis-à-vis du gouvernement et du président.

Le président a répliqué aux manifestants par une nouvelle salve d’insultes et de propos injurieux sur les réseaux sociaux, sa vice-présidente en a profité, de son côté, pour s’en prendre à une morte (Hebe de Bonafini, l’ancienne présidente de Madres de Plaza de Mayo). Bref, tous les deux ont une nouvelle fois montré ce visage hideux qui est le leur, celui de la haine, du mépris et d’une abyssale ignorance.

"Manifestation universitaire massive
et fortes critiques contre le gouvernement", dit le gros titre
sur cette autre plongée sur la Plaza de Mayo vue de l'ouest
au centre : le pyramidion de Mai
(premier monument national, érigé le 25 mai 1811,
sous la forme d'une pyramide romaine)
au fond : la Casa Rosada, siège de la présidence argentine
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Les slogans des manifestants faisaient quant à eux appel les uns à la solennité (pour la patrie, il faut plus de patrie), les autres à l’humour (« L’Université avance, p. ! » pour pasticher le slogan présidentiel, La libertad avanza, carajo, et d’autres plus drôles les uns que les autres).

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

Sortie d’un documentaire sur Taty Almeida [à l’affiche]

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Ce soir, mercredi 24 avril 2024, à 19h, dans l’auditorium d’une université publique populaire, la UMET, à Buenos Aires (à la même adresse que la salle du Centro Cultural Caras y Caretas, dan sle quartier de San Nicolás), première projection d’un documentaire qui fait le portrait d’une des plus sympathiques militantes de l’association Madres de Plaza de Mayo Línea Fundadora, la plus ouverte du point de vue politique et idéologique des deux organismes auxquels ont donné naissance les manifestations historiques des mères sur Plaza de Mayo pendant la dictature de 1976-1983.

Entrée libre et gratuite.

Taty Almeida était hier dans la rue, assise, eu égard à son grand âge, sur l’estrade installée sur Plaza de Mayo, pour participer à sa façon, comme elle l’avait promis publiquement, à la manifestation en faveur du système universitaire public et gratuit.

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© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

vendredi 19 avril 2024

Hommage symphonique à Piazzolla ce soir au Auditorio Belgrano [à l’affiche]


Ce soir, vendredi 19 avril 2024, à 21h, grand spectacle symphonique à partir du répertoire de Astor Piazzolla (photo sur l'affiche), à Auditorio Belgrano, l’une des grandes salles de spectacle du nord de la capitale argentine, à l’angle des rue Cabildo et Virrey Loreto, dans le quartier de Colegiales.

Orchestre symphonique placé sous la baguette du Maestro Andrés Robles. Soliste : la chanteuse Diana María, qui a donné ce matin une interview à ce propos à Página/12. Sans surprise, elle chantera les grands classiques du duo Piazzolla-Ferrer des années 1960 et 1970, époque de l’apogée du duo de créateurs.

Les places meilleur marché sont déjà à 10080 pesos (c’est ahurissant !). Ce matin, il y avait encore des places disponibles, ce qui est une bonne indication de la gravité de la crise que traverse le pays.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire la présentation du spectacle sur le site de vente de spectacle Ticketek (qui reprend le texte de la salle)
lire l’article de Página/12

lundi 15 avril 2024

Ce soir, on fait le plein avec le bandonéon [à l’affiche]

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Les activités publiques reprennent à la Academia Nacional del Tango, avenida de Mayo 830, ce soir, lundi 15 avril 2024, pour la saison.

A tout seigneur, tout honneur, le Plenario de ce soir sera consacré à la présentation d’un livre du compositeur et bandonéoniste Gabriel Merlino, intitulé « Archéologie du Bandonéon », un titre sans doute un peu pompeux mais « bien argentino ».

La chanteuse Vanina Tagini, qui a partagé avec Merlino plusieurs tournées en Europe ces dernières années, participera àla soirée.

Entrée libre et gratuite (ça ne change pas).

© Denise Anne Clavilier

dimanche 7 avril 2024

Festival Elijo Crecer : les chercheurs défendent la science [à l’affiche]

A droite, une belle carte symbolique de l'Argentine
avec sa forme de cône !


Ce week-end, les scientifiques argentins ont organisé et animent dans tout le pays un festival de la science, intitulé Je choisis de grandir (Elijo Crecer). A travers ces stands et ces rencontres, ils cherchent à sensibiliser le public aux enjeux de leurs métiers et de leur secteur.

Un secteur non marchand dont Javier Mileí ne comprend pas la nature, lui qui n’envisage le monde et la vie qu’à travers le profit économique immédiat, sonnant et trébuchant. Il veut donc en finir avec cette activité qui ne serait qu’un coût inutile pour l’État, qui devrait impérativement s’alléger.

Pour leur part, les scientifiques savent parfaitement qu’il s’agit en fait d’un investissement sur l’avenir du pays, qui a toutes les capacités d'en faire un acteur attractif, puissant et respecté dans le monde.

Comme d’habitude, seul Página/12 en rend compte dans la presse quotidienne d’envergure nationale. Les journaux locaux en parlent aussi : c’est une animation culturelle à ne pas manquer (elles se font rares ces temps-ci). Quant aux journaux nationaux de droite, ils s’en contrefichent. Tous ces chercheurs, ce sont des « progressistes », n’est-ce pas ? Donc des gens de gauche. Ils ne sont pas dignes que l’on intéresse les lecteurs à leurs revendications.

Je ne conçois pas que des hommes et des femmes qui travaillent dans la culture et l'économie du savoir puissent avaliser une politique aussi suicidaire !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
visiter le site créé par les scientifiques pour présenter et promouvoir leur manifestation fédérale.

vendredi 5 avril 2024

Un État de plus en plus répressif [Actu]

"L'Etat en état de siège", dit le gros titre
sur cette photo de la police fédérale bloquant
l'entrée du secrétariat d'Etat aux droits de l'homme
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Avant-hier, Javier Mileí a envoyé la police, armée jusqu’aux dents, dans les différents ministères où il voulait virer du monde. Même le secrétariat d’État aux droits de l’homme, dont les bureaux sont situés sur le campus de l’ex-Esma, à Palermo, a vu les flics investir ses locaux. Mileí, qui avait salué mardi le passé glorieux de l’armée à l’occasion de l’anniversaire de la guerre des Malouines (provoquée par la junte militaire), met en place non pas l’État de liberté que d’aucuns ont cru il réclamait dans sa campagne électorale, mais un État policier et militariste qui s’éloigne à grand pas des idéaux de démocratie poursuivis, contre vents et marées, depuis quarante ans par le peuple argentin.

Hier, c’était les enseignants qui faisaient grève, un mois après la rentrée des classes.

Dans quelques jours, les syndicats appellent à une deuxième grève générale dans tout le pays.

"La colère des improductifs", dit le gros titre
Ce mépris dit déjà beaucoup
Ce n'est pas étonnant de la part
de ce quotidien ultra-réactionnaire
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Comme mes fidèles lecteurs le constatent, il devient très difficile pour moi de soutenir le rythme de publication qui était le mien sur ce blog avant l’arrivée au pouvoir de l’actuel gouvernement qui est en train de détruire systématiquement tout ce que le secteur culturel, au sens large du terme, a construit en Argentine depuis largement plus d’un siècle.

Monter des projets comme j’en avais régulièrement jusque ce que le covid vienne tout bousculer en 2020 est très probablement sans aucune perspective. D’ici quelques semaines, il est prévu que je prenne un poste de travail dans une maison d’édition (une perspective plutôt sympa, soit dit en passant). Dès lors, une bonne partie de mon temps est consacré à me familiariser avec mes futurs outils de travail quotidien.

Une autre partie de ce temps, je le consacre à approfondir ma découverte du monde ukrainien et à étudier cette langue, complexe (comme toutes les langues) et passionnante, avec son riche patrimoine historique et littéraire. Comme j’ai eu l’occasion de l’expliquer en janvier, l’Ukraine présente les mêmes enjeux qui m’ont fait me pencher sur l’Argentine : la construction d’une nation et d’un État indépendant et démocratique, avec un patrimoine culturel méconnu par chez nous et une histoire coloniale (ici, seulement pendant trois siècles sur un bon millénaire) à comprendre. De surcroît, ce que nous avons sous les yeux, cette guerre impitoyable que la Russie livre à ce pays, c’est avec la technologie d’aujourd’hui le même conflit d’indépendance qu’il y a deux cents ans, celle que j’ai étudiée sous bien des angles à travers les figures lumineuses de San Martín et de Belgrano ! Or des figures lumineuses, ce n’est pas ce qui manque en Ukraine, dans le passé et dans le présent, que l’on observe la politique, la chanson, la musique classique, la littérature, le cinéma, enfin bref partout où les yeux peuvent se porter...

Clarin prend parti contre les fonctionnaires licenciés
tout en soulignant la énième démission au sein du gouvernement
dont la stabilité n'est pas la qualité première
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Depuis juillet 2008, j’ai déposé dans ces colonnes une épaisse documentation francophone sur l’Argentine et sa culture. Je vais continuer à nourrir ce blog mais la nourriture risque fort de se faire plus rare au long des quatre ans de ce mandat désastreux et affameur, même si quelques uns de mes amis, dont je sais qu’ils ont voté pour Mileí et que j’ai du mal à comprendre, m’expliquent que ce type représente un futur plein d’espoir pour leur pays. Ils en sont convaincus. Moi non.

"Clameurs et coercition autour des fonctionnaires
licenciés", dit le gros titre sans cacher la violence
des rixes. Cliquez sur l'image pour une haute résolution

Le mandat de Mauricio Macri, pour lequel ils avaient aussi voté, s’est terminé en désastre social et en catastrophe économique pour tout le pays qui s’est effondré dans un nouvel endettement infernal et mes amis en étaient conscients et ils en avaient conçu une grande colère. Or ce mandat s’annonce pire encore. Avec des propos de haine décomplexée en plus. Au moins Macri, son sourire et son élégance vestimentaire ont-ils fait illusion pendant la première moitié de son mandat. Mileí a eu moins d'une semaine d’état de grâce ! Et encore, en calculant large.  Devant mes amis, je me sens un peu, mutatis mutandis, comme Iegor Gran devant ses connaissances russes qui ont accepté la propagande poutienne (1) et le mythe des ukro-nazis qui justifierait l’agression de ce pays voisin dont la Russie s’était engagée en 1994 à garantir l’intégrité des frontières !

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :



(1) Qui plus est, on trouve dans la bouche de Poutine comme dans l’actuel discours gouvernemental argentin les mêmes obsessions contre le féminisme et les droits de l’homme, le même rejet viscéral et irrationnel de l’analyse critique des dictatures historiques et des sexualités atypiques et la même instrumentalisation de la religion, que ce soit avec le prétendu patriarche Kirill, la figure du pape François tordue pour la faire rentrer dans le fanatisme miléiste et la pseudo-culture loubavitch ultra-réactionnaire de ce dernier qui ne le retient en rien de violer le chabbat pour faire genre ! Or Mileí prétend se tenir aux côtés de l’Ukraine contre la Russie, comme il est aussi du côté de Trump, de Bolsonaro et d’Orban. Cherchez l’incohérence. Elle n’est que trop facile à trouver.

Voir l’essai de Iegor Gran, Z comme zombie, POL Éditeurs, Paris, 2022, repris en poche chez Babelio, Gallimard (février 2024).

Le Festival Tango ECuHNi envers et contre tout [à l’affiche]



Demain, le Centre culturel ECuNHi (Espacio Cultural Nuestros Hijos, espace culturel nos enfants), animé par l’association Madres de Plaza de Mayo, lance une nouvelle édition de son festival de tango, qui dure une petite demi-journée…

Au programme, récitals, ateliers, cours de danse, rencontre avec les artistes.

Entrée libre et gratuite, dans le campus de l’ex-ESMA devenue un campus des droits de l’homme. Un pied-de-nez au président qui ne supporte par l’existence de ce type d’institution.

Comme d’habitude, seul Página/12 en parle.

© Denise Anne Clavilier
www.barrio-de-tango.blogspot.com

Pour aller plus loin :

lire l’article de Página/12
visiter la page Facebook de la manifestation.

Exposition de Hermenegildo Sábat au Museo de Arte decorativo à Buenos Aires [à l’affiche]

Affiche de l'exposition


Le défunt peintre et dessinateur de presse Hermenegildo Sábat, dit Menchi, qui a fait la majeure partie de sa carrière journalistique dans la rédaction de Clarín, fait l’objet depuis hier d’une rétrospective, la première depuis sa mort, au Museo Nacional de Arte Decorativo à Buenos Aires.

L’exposition a été inaugurée avec le ban et l’arrière-ban du groupe Clarín et durera jusqu’au mois de juin.


Beaucoup de portraits et de caricatures, pour lesquels Sábat avait un talent exceptionnel et un trait tout à fait reconnaissable.

© Denise Anne Clavilier


Pour aller plus loin :

lire l’article de Clarín d’avant-hier
lire l’article de Clarín d’aujourd’hui
lire l’artilcle de La Nación d’hier

Mileí revendique le vieux fond raciste colonial [Actu]

"Avec le visage de Roca", dit le gros titre
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Mardi, 2 avril, Javier Mileí présidait sa première cérémonie d’hommage aux combattants des Malouines qui se tient tous les ans au jour anniversaire du début de la guerre en 1982. Il a profité de l’occasion pour exprimer son admiration sans borne pour « la baronne Margaret Thatcher » (sur l’ordre de qui un navire baptisé General Belgrano a été coulé, faisant près de 400 morts argentins, sans parler de l’amitié de la dame pour Pinochet !). Pire encore sans doute, loin d’être le « meilleur Premier ministre britannique de l’histoire », elle en a sans douté été le pire puisqu’à sa mort, trente ans après son dernier jour au pouvoir, les Britanniques ont été très nombreux à manifester contre elle, y compris le long du cortège funéraire, alors que ce grand nombre d’années, avec le changement de génération, fait d’ordinaire taire les contentieux, au moins pendant le deuil et rassemble les gens autour du catafalque.

Non content de son effet, Mileí a ajouté une provocation de plus à la déjà très longue liste de ses insolences : il a nommé comme l’un de ses modèles historiques le général Julio Argentino Roca, celui qui, à la fin du dix-neuvième siècle, a conduit une expédition militaire d’une cruauté sans nom et reconnue aujourd’hui comme de nature génocidaire (encore que la notion n’existait pas encore), la dite Campaña del Desierto, un nom de propagande pour désigner ce qui était en fait la conquête de la Patagonie, alors habitée par les peuples mapuches comme on peut le constater sur les cartes de l’Argentine à la même époque (où la région est nommée comme « République indienne »). Il n’y a pas beaucoup personnages plus honni à gauche et même au centre que Roca, cette espèce de Custer du sud (à qui l’on prête cette formule odieuse : « un bon Indien est un Indien mort ».)

"Une cause nationale qui divise les politiques",
dit La Prensa, dont la plupart des éditorialistes
tiennent des propos très proches de ceux du président
sur les mêmes sujets
La photo représente le monument aux soldats
morts aux Malouines, en contre-bas de la
Plaza San Martin à Buenos Aires
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Une fois la cérémonie achevée, il a persisté dans ses propos par un acte symbolique : il a de nouveau débaptisé une salle d’honneur de la Casa Rosada, le Salón de los Pueblos Originarios, qui portera désormais le nom de Héroes de las Malvínas, le tout en prétextant que les peuples préhispaniques n’avaient aucune civilisation digne de ce nom. Une compréhension du monde dont San Martín et Belgrano eux-mêmes s’étaient déjà défaits au début du 19e siècle ! (1)

Plus de vingt ans d’efforts existants (à défaut d’être couronnés d’un plein succès) pour intégrer dans la nation et dans l’histoire ces peuples victimes de la colonisation, des maladies apportées par les conquérants européens puis de leur répression politique et culturelle que notre siècle reconnaît enfin comme criminelle, réduits à néant, volontairement, sciemment, cyniquement, par ce personnage débordant de haine et qui a voué sa vie au culte de l’argent et du profit…

L'étreinte hypocrite du président et de la vice-(présidente
devant le monument aux soldats morts aux Malouines
Ils ne se supportent pas et ne peuvent pas le cacher.
"Milei appelle à une réconciliation avec les Forces Armées",
dit le gros titre d'un journal dont la rédaction a autrefois
collaboré de bon coeur avec la Junte militaire
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Une nouvelle fois, l’Argentine, qui montrait la voie à tout son continent en matière de droits de l’homme, livrée à une régression dont elle aura du mal à se remettre.

Même idée pour cette autre une :
"Lors de l'hommage pour la guerre des Malouines,
Milei a appelé à une réconciliation avec les Forces Armées"
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Mileí a aussi appelé à une réconciliation nationales avec les forces armées, en confondant volontairement les bourreaux dûment condamnés avec l’ensemble des militaires du pays, ce qui au bout de quarante ans de démocratie est une confusion que les Argentins ne font plus, et alors que sa vice-présidente, catholique traditionaliste et elle-même fille d’un militaire qui a trempé dans la dictature, veut voir tous les condamnés amnistiés.

La plaque de la salle d'honneur dans la Casa Rosada

© Denise Anne Clavilier
www.barrio-de-tango.blogspot.com


Pour aller plus loin :



(1) Mileí n’a aucune considération pour les deux Pères de la Patrie qui pourtant réunissent tout le monde en Argentine. Sans doute parce qu’ils font l’unanimité et qu’il déteste cela dans son pays.

mardi 2 avril 2024

La loi de la jungle règne sur le mate [Actu]

"Ni yerba de ayer secandose al sol"
le gros titre est une citation de Enrique Santos Discépolo
(Célèbre tango Yira yira que j'ai intégré
dans Barrio de Tango, recueil bilingue de tangos argentins)
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Depuis hier, les prix dans le secteur de la yerba mate sont libres. L’Institut National de la Yerba Mate (INYM) ne peut plus fixer de prix plancher en-dessous duquel aucun industriel du secteur ne pouvait acheter la récolte de feuilles de cet arbre de la famille du houx dont les Argentins tirent une infusion qui est devenue un must de leur culture et de leur art de vivre, ainsi que de celui des Paraguayens, des Uruguayens, des Brésiliens dans l’extrême sud du pays et de nombreux Chiliens.

Cette régulation du prix depuis un peu plus de vingt ans avait permis à des petits producteurs de s’en sortir et de développer des produits originaux, de qualité supérieure. Toute une série de coopératives et de familles avaient fleuri dans le secteur, essentiellement dans les provinces de Corrientes et de Misiones.

C’est fini. Désormais, les producteurs seront à la merci des géants du marché qui les obligeront à vendre à vil prix la récolte s’ils ne la transforment pas eux-mêmes. Et ils pourront faire une guerre des prix aux producteurs-transformateurs de plus petite taille. Il est à craindre que de nombreuses marques disparaissent des rayons à plus ou moins longue échéance et que le bas de gamme gagne de la place dans les gondoles en même temps que les prix vont grimper à toute vitesse.

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De plus, il est peu probable que le reste de l’alimentation échappe à une forte dégradation du marché, à commencer par la viande et les produits laitiers, eu égard au fanatisme économique de ce gouvernement. C'est tout un patrimoine que le gouvernement refuse de protéger et de développer au bénéfice du profit de quelques grosses fortunes de l'agro-industrie !

Comme l’Uruguay dépend entièrement de la production argentine (et un tout petit peu de celle du Brésil), il y a fort à parier que cette décision se fera sentir aussi de l’autre côté du Río de la Plata.

© Denise Anne Clavilier


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